La construction de l’Estime de Soi et le défaut d’Estime de Soi

J’ai envie de faire remonter la construction de l’estime de Soi à la scène primordiale. L’enfant a-t-il été désiré, imaginé ? A-t-il fait l’objet de tous les investissements libidinaux de ses parents ? Dans le ventre de sa mère, le fœtus est confronté à des stimuli sensoriels et selon des études, peut ressentir les émotions de cette dernière. Je suis convaincue que, déjà, il perçoit s’il a été voulu, désiré, s’il est attendu ou au contraire, s’il est source d’angoisse et de stress pour son, ses parent(s).

Dès la naissance, le nourrisson va découvrir progressivement une certaine conscience de soi, à travers ses contacts avec ses figures d’attachement et son environnement, ses sensations kinesthésiques et les émotions ou l’excitation que cela suscite.

Puis, une image de soi va pouvoir se construire, à travers les perceptions de son corps, de ses gestes, du langage, etc., au cours des différentes phases de son développement psychosexuel. Petit à petit, il va élaborer des représentations mentales et la représentation de son propre corps et va avoir une perception de ses caractéristiques, de son apparence physique, plus tard de ses compétences et capacités dans les différents domaines, de sa valeur ou, en tout cas, celle qu’il s’en attribue, de sa situation sociale, en conséquence, de ce qui forge son identité.

Le concept de soi est donc multidimensionnel et englobe, notamment, les dimensions cognitives, affectives et environnementales propres à chacun.

Freud évoque l’angoisse « originaire » de la naissance, celle « de ne pas être à la hauteur » pour surmonter la pulsion de mort. Déjà, le nouveau-né est confronté à cette sensation de devoir « être à la hauteur » pour réussir à vivre !!!

Le nourrisson connaît, tout d’abord, une relation fusionnelle ou état anobjectal, sans clivage entre lui-même et le monde extérieur qualifié de « narcissisme primaire ». Il est dans une situation d’omnipotence ou de toute puissance et baigne dans un Moi Idéal. La relation fusionnelle mise en place avec la mère est capitale d’un point de vue narcissique.

Il va ensuite être confronté, notamment lors du sevrage, à la séparation avec sa mère et va faire ses premières expériences de la frustration, de l’angoisse et donc du « manque ».

Selon Winnicott en 1975, la mère, par son regard, fait sentir au nourrisson qu’elle l’investit affectivement, qu’elle l’aime et l’accepte. Ces attentions maternelles vont permettre une capitalisation narcissique prodiguée par la mère qui constitue la base de l’estime de soi. Ainsi, le jeune enfant va construire le noyau de son Soi, noyau du self, et pourra ressentir qu’il a de la valeur.

L’enfant, s’il se sent aimé, à travers le regard empreint d’amour de la mère, va se sentir « aimable » et va pouvoir grandir et s’acheminer vers le monde des adultes en s’appuyant sur ses parents, en cas de besoin, pour être étayé, c’est à dire réconforté et surtout « conforté » dans sa position de Sujet qui est singulier, qui a de l’importance et de la valeur. La mère, les parents vont ainsi contribuer à son bien être psychologique et à son épanouissement en tant que personne.

Inversement, le manque d’amour à ce stade là, avant que le Moi soit formé, va entraîner des problématiques graves puisque le nourrisson ne vit pas ce manque comme un problème de sa part à elle, la mère, mais comme étant sa faute à lui, comme s’il ne méritait pas d’être aimé, en conséquence, comme s’il n’était pas aimable.

Selon Winnicott, la force du Moi va dépendre du comportement adapté de l’adulte prenant soin de l’enfant. Il montre que l’enfant évolue d’une dépendance absolue vers une dépendance relative puis vers l’indépendance. « L’intégration du Moi avec ses composantes motrices et sensorielles consisterait en une édification de la personnalité avec un sentiment de continuité d’existence. » Lorsque ses besoins ne seront pas satisfait, le bébé pourra être confronté à des angoisses de morcellement et aura une relation avec son corps dysfonctionnelle.

Ce sera le cas s’il ne perçoit qu’interrogations, stress et insécurité voire rejet. Il va devoir développer des mécanismes de défense, telle une armure, qui vont le couper de son authenticité et vont aller à l’encontre d’une construction positive de son estime de soi, en ne permettant pas l’édification d’une personnalité stable et solide, propice à sa confrontation au monde extérieur.

L’estime de soi serait donc la résultante d’un narcissisme infantile construit dans la relation mère-bébé et du sentiment de satisfaction qui dépend du lien entre le Surmoi et l’idéal du Moi. Ainsi, l’investissement libidinal du Soi serait donc nécessaire puisque du lien entre l’enfant et sa mère, naîtrait un affect positif ou négatif qui rejaillit sur l’estime de soi. A contrario, le manque d’estime de soi serait donc une atteinte, une blessure narcissique.

De nombreux courants psychanalytiques se basent sur les processus des pulsions et des affects dans la construction du Soi, c’est le cas, notamment, dans la conception de Freud.

Selon Freud, l’angoisse est étroitement liée à la libido, chaque poussée pulsionnelle frustrée correspondant, au regard du principe de plaisir, à une souffrance psychique qui se transformera en angoisse, à laquelle l’enfant tout au long de son développement psycho sexuel va être confronté. Freud en 1926 avait décrit l’angoisse automatique-traumatique chez le petit enfant « comme un état de débordement par les excitations pulsionnelles, un état de détresse en l’absence d’un objet protecteur. Cet état générerait des angoisses diffuses, des états agonistiques qui favoriseraient le développement d’un faux-self et déclencheraient des mécanismes d’identification adhésive, de dénégation, de clivage, de forclusion, d’identification projective excessive et contribueraient à la formation de la fonction « désobjectisante ». Tous ces mécanismes, contre productifs, aboutiraient ainsi à une mutilation du moi car le sujet, après avoir désinvestit l’objet, désinvestirait son moi.

Le stade du miroir, va permettre la construction des relations objectales. Selon Jacques Lacan, le stade du miroir est une étape décisive dans le développement de l’enfant, notamment dans le processus d’individuation, d’appropriation et d’unification du corps.

En effet, le développement de la personnalité passe par le « Je », en passant de la position symbiotique à la position anaclitique. Auparavant, le nourrisson ne se vit pas distinct de sa mère et n’a pas conscience propre corps. Cette prise de conscience des limites de son corps et la distinction de ce qui est de Moi et du reste vont se faire progressivement, permettant la subjectivation.

Le stade du miroir est donc très important dans le développement moteur cognitif, en ce qu’il ouvre vers le monde mais aussi vers nous-même, en confirmant/renforçant une « individuation narcissique primaire ». Cette étape constitue toutefois une épreuve de castration car l’enfant fait le constat qu’il existe un grand écart entre son image et lui et ne se réduit pas à ça. Il vit sa première blessure narcissique.

C’est bien là, dans la scène du miroir que l’enfant va voir, percevoir, ressentir, éprouver le regard de sa mère, un regard enveloppant, contenant, confortant ou inversement… c’est donc une étape fondamentale dans la construction de l’estime de soi.

Tout au long de son développement psychosexuel, l’enfant pourra faire, au contraire, l’expérience angoissante de désillusions, de frustrations qui vont générer des mécanismes de défense contre les poussées pulsionnelles, tel le clivage entre le bon et le mauvais objet. Le bon objet, idéalisé est capable de procurer une gratification illimitée immédiate par le phénomène de l’introjection qui rassure l’enfant et lui procure un bouclier de défense contre l’angoisse de persécution du mauvais objet qui est un persécuteur.

A ce niveau-là de ma réflexion, j’imagine que dans le cadre de la construction de l’estime de soi, tout est question de dosage et d’équilibre. En effet, un lien d’attachement insécure ne produira pas les mêmes effets qu’un lien d’attachement sécure.

Dès lors, le rôle de la mère (ou de la figure d’attachement) va être déterminant de la construction d’estime de soi du jeune enfant. Un mode d’attachement de type sécure s’accompagne, chez l’enfant, d’une meilleure estime de soi et de la capacité de faire appel à l’adulte lorsqu’il en a besoin. Il favorise également la capacité d’exploration. Si la figure d’attachement se montre contenante, rassurante, sécurisante, une relation de confiance entre l’enfant et celle-ci va pouvoir se construire. Le type de lien entre l’enfant et sa figure d’attachement, concept développé par John Bowly, sera déterminant de la construction du Surmoi qui mènera l’enfant vers son autonomie. Selon Bowly, le « caregiving », versant parental de l’attachement, représente la capacité à prodiguer des soins, à pourvoir aux besoins physiologiques et affectifs du nourrisson. Les comportements parentaux favorisant la proximité et le réconfort, lorsqu’ils perçoivent la détresse de l’enfant ou lorsque celui-ci se sent en danger permettront d’étayer l’estime de soi de l’enfant.

Inversement, lorsque la figure d’attachement est inapte à ressentir les besoins du bébé, le nourrisson n’aura d’autre choix que de se couper de ses désirs et de vivre en apprenant à jouer un rôle que l’on peut qualifier de faux-self.

Le complexe d’Oedipe marquera ensuite une étape décisive sur le plan de l’identification et de la mise en place du Surmoi et de l’Idéal du Moi. La mise en place du Surmoi par identification parentale s’effectue par l’introjection des interdictions parentales d’abord, puis par l’identification à ces derniers, puis au groupe.

C’est à partir de là que l’enfant, bien que soumis à la règle du Surmoi, va amorcer sa quête incessante de l’idéal du Moi, parfois de façon pathologique.

Après la période d’apaisement de la période de latence, l’adolescent va traverser une période de structuration identitaire et de bouleversement pulsionnel, la « crise d’adolescence » qui est une phase normale. Les adultes devront décrypter les signaux de détresse qu’envoie l’adolescent et les prendre au sérieux car l’une des premières cause de mortalité dans cette classe d’âge est le suicide.

En effet, en proie à des poussées hormonales très importantes, l’adolescent va être confronté à la question de pulsions sexuelles croissantes. Il n’est plus l’enfant qu’il était et est un adulte en devenir. Il se trouve en quelque sorte « divisé d’avec lui-même », ne se reconnaît plus et éprouve en lui un conflit psychique dont il n’a pas réellement conscience, pourtant structurant, de l’autonomie-dépendance.

Il conviendra de rester vigilent à ce que l’angoisse ne devienne pas pathologique et qu’elle n’ait pas un effet de désorganisation du processus de construction de l’identité de l’adolescent. Le rôle à la fois contenant et protecteur de l’adulte, pourvoyeur de la Loi pour poser un cadre, associé à la confiance pour renforcer l’autonomie, va être déterminant dans l’estime de soi du jeune et plus largement dans la construction de son identité.

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